
Je me souviens de mes voyages
Vous souvenez-vous de mon article sur le recueil Je me souviens, de Georges Perec ? Après un petit tour en Ecosse, du côté de l’île de Mull, je partage avec vous cette collection de fragments, souvenirs de mes différents voyages à moitié effacés, à moitié vivaces…

19
je me souviens des bras de la mer tunisienne aussi chauds que ceux de maman de l’eau salée qui baignait mon adolescence des vagues dénuées de force mais pas d’âme je me souviens des couchers de soleil impressionnistes sur fond de Ramadan de ces vacances froides en hôtel quatre étoiles chaleureuses pourtant sous les rires je finissais toujours par ne plus vouloir partir
20
je me souviens du froid cuisant des heures passées à pêcher sous la glace un poisson qui n’existait pas des cris de bonheur tellement c’était simple papa et les chiens de traîneau leurs jappements de plaisir et la neige qui brillait comme le soleil ne m’a pas oubliée
21
je me souviens des chutes du Niagara
22
je me souviens des folles chevauchées dans les steppes de la peur clouée au ventre la peur de tomber c’est viscéral le cheval va trop vite l’impression qu’il ne s’arrêtera pas avant la chute je me souviens des nuits mongoles à compter les étoiles
23
je me souviens de la chaleur étouffante des rochers rose vert turquoise des mirages de la Vallée de la Mort je m’y sentais vivre comme jamais
24
je me souviens des poissons multicolores tellement beaux qu’on les aurait crus sortis d’un dessin animé de la Grande Barrière et de tous ces coraux vibrants de vie des méduses qui nous caressaient des frissons
25
je me souviens de l’océan le grand vide sous mes pieds ce vertige qui monte des profondeurs pour m’étreindre je me souviens m’être agrippée à mon frère qui ne nageait pas mieux que moi
26
je me souviens des pyramides que je n’ai pas vues
27
je me souviens des soirées italiennes au goût de pizza quatre fromages de Rome arpentée sans fin avec mon frère comme si les pas pouvaient effacer la tristesse je me souviens de la fontaine de Trevi du Colysée soudain tremblant au souvenir des fauves ensanglantés de la mer de ponts sous la nuit bleue
28
je me souviens que c’était Noël et que papa était à l’hôpital on posait un cierge pour lui dans chaque église même si on ne croyait pas que Dieu pouvait y faire quoi que ce soit c’étaient toujours des tas de petites pensées emportées dans les ruines romaines on était sûrs qu’il les recevrait
29
je me souviens du ciel qui dansait dans sa robe verte ma première aurore boréale je me souviens de cette promenade en raquettes avec maman que je regrette de ne pas avoir faite des tunnels construits sous la neige comme pour laisser une trace de nous dans cette Laponie sauvage
30
je me souviens des lacs alpins
31
je me souviens de cet Égyptien qui voulait m’acheter contre deux chameaux je me suis collée à papa comme jamais
32
je me souviens de ce moment de solitude sur la Grande Muraille pétrie par les siècles l’impression de toucher le ciel la terre et soi-même
33
je me souviens des moutons regroupés à coups de cris aigus je pense que je n’étais pas très douée j’en laissais toujours échapper un ou deux et les agneaux venaient téter mon doigt au son des sabots qui martelaient la plaine
34
je me souviens des souks hurlants des bibelots achetés pour rien et qui ne valent toujours pas grand-chose du fond de leurs cartons
35
je me souviens de Grand Canyon et des aigles qui nous survolaient
36
je me souviens des nuages qui galopaient sur le flanc des falaises cette impression qu’ils allaient m’engloutir avec la montagne je me souviens
Copyright Elodie Agnesotti


4 Comments
Chris
Quelle plume ! Merci pour ce périple. J’ai vu les couleurs, les paysages et les émotions de ces fragments de voyages. Magnifique.
Elodie
Merci, ça me touche 🙂
Julien Hirt
C’est très beau. Maintenant nous aussi, grâce à toi, nous nous souvenons de tes voyages.
Elodie
Merci beaucoup !